Du coté de chez Madiba, ou un village Sud-Africain
J’ai eu mes années Afrique du Sud, la Nation de Nelson, People of South Africa, pour moi ce furent les années du tournant du siècle. De 1997 à 2000, 1997 ou invité à présenter une exposition à Cape Town, je me suis retrouvé en amour et en colère pour ce pays et ses peuples, et à y revenir à de nombreuses reprises, pour raconter en portraits partagés, Polaroïd disparus de nos jours, les visages de de la Nation Arc en Ciel.
Au cours d’un de mes séjours, d’étapes en étapes, lisant l’autobiographie de Nelson Mandela « Un long chemin vers la liberté », le récit de ses années de jeunesse me servait alors de fil rouge pour dessiner mes trajets, dans les collines du Transkeï.
Alors sur ma route, une étape obligée : le village ou il a grandi au côté de sa mère.
D’autant plus que sur la carte, je vois que la route principale sur laquelle je me trouve, traverse Qunu. Mais je ne m’attendais pas à ce que le mot «traverser» soit à ce point littéralement adapté. De collines en collines, les petits villages de huttes rondes en torchis aux toits de chaumes ou de maisons rectangulaires sans étages, qu’on appelle ici des «boites d’allumettes» quand elles se regroupent, se succèdent sans vraies séparations ni contours.
Et tout à coup, au bord de la grande route, juste après un virage, sur la droite une maison bien plus grande que les autres, mais surtout récente, et isolée de son côté de la chaussée.
C’est ici.
Seule l’apparition soudaine, au détour d’une petite côte, de cette bâtisse différente fait comprendre qu’on est arrivé.
De l’autre côté de l’asphalte, le village en contrebas. Sans dessin particulier, des habitations éparpillées; ici pas de rues c’est la campagne, sans arbres, beaucoup de bâtiments inachevés, des enfants qui jouent en bandes, quelques adultes assis à l’ombre du petit bâtiment abritant les boîtes postales, en face de la grande maison, de l’autre côté de l’asphalte.
Bien sûr je questionne, bien sûr on me parle du grand homme, de sa maison qu’il a fait construire il y a peu, après sa libération.
On me dit qu’il n’est pas là en ce moment. Qu’il a aussi d’autres résidences, à Cape Town ou Pretoria.
Les enfants m’accompagnent dans le village. Rien,ne le distingue de tous les autres. Rien, si ce n’est un petit cimetière familial, avec le patronyme Mandela, ou repose déjà 3 des enfants de Madiba, cimetière qui deviendra quelques années plus tard, l’enjeu d’un scandale familial. J’ai photographié ces stèles mal entretenues et tordues par le temps, mais sans doute par pudeur, n’ai jamais voulu les utiliser.
Et puis il y a cette grande maison. Séparée du village par la chaussée, mais si proche de cette route, ou déboulent les grands camions, rétrogradants, les moteurs hurlants, pour attaquer la petite côte.
Je reste là un bon moment. Et si j’avais été invité à rencontrer Madiba ! A traverser la route ! Rencontrer Madiba et faire son portrait à lui aussi ! J’ai ça dans un coin de la tête, et plus que ça bien sûr. Mais bon ! On parle et échange avec quelques habitants qui restent là eux aussi, juste de l’autre côté de la route, assis sur les glissières, à tuer le temps, attendre le bus, ou deviser avec l’étranger à l’étrange appareil photographique. Et voila qu’on me montre une femme qui sort de la grande maison, en face. On me dit que c’est la soeur de Mandela, qu’elle s’occupe de la maison, de son petit frère ! Je vois traverser une dame, portant un baluchon sur la tête, à l’africaine.
On se présente. Oui, c’est bien la soeur de Madiba. Nous nous saluons.
Elle me laisse la portraiturer. Je lui offre le Polaroïd comme à mon habitude. Et derrière nous les gros camions continuent de passer en faisant tout trembler.
C’était ma journée chez Nelson.
Sur que jamais je n’aurais imaginé pareille maison de Président, du côté de chez moi ! Au bord de la route, juste de l’autre côté du village, sans murailles et sans l’ombre d’un garde du corps. Sans affectation aucune.
C’est chez lui.