6. La mère, le linge et le nuage.
Little Karoo.
C’est la route. Les routes qui une fois passé les cols s’enfoncent rectilignes dans le bush. Vers l’est, la piste des trekkers.
La quête de l’Est cette fois, un western à l’envers, un western quand même, ses pionniers, sa civilisation en marche, son évangélisation, ses bons et mauvais sauvages, à soumettre au nom de Dieu, du progrès, toute cette histoire qui flotte encore dans ces paysages brulants.
Ce sont les mêmes routes, pistes qui s’enfoncent dans le bush. Les fenêtres ouvertes, l’air en fusion qui tourbillonne dans la voiture, la fascination d’avancer sans limites. Loin, avec toujours un horizon à atteindre, et encore un autre qui se dessine.
Pas facile de trouver sur la radio les chants zoulous ou les gospels de Ladysmith Black Manbazo, mieux vaut emporter ses propres munitions, ce que je comprendrais vite. On a beau être en plein bush, c’est la variété et le rap sucré Us qui s’est fait sa place.
Malgré les recommandations, une bonne manière de faire des rencontres est bien de prendre des voyageurs en stop. Des familles entières parfois, qui ont attendues le bon vouloir d’un conducteur, ou qu’un bus collectif se décide à passer par là. Bonne manière aussi de se sentir utile.
Les premiers moments dans la voiture sont tendus : tout le monde se craint. Aucun geste n’est gratuit, habituellement. Il faut s’apprivoiser, chacun dans méfiance, chacun peut être le risque.
Au bout de la piste, une ferme isolée, qui s’appellera quelque chose fontein, car il faut un peu d’eau pour vivre ici. Je pense aux cabanes en rondins de la conquête de l’Ouest, mais ici il n’y a pas de bois. Les maisons sont de terre. On ne peut pas aller plus loin, et quand on s’approche, il faut faire attention à ne pas effrayer, on est l’étranger. Celui qui pourrait apporter le danger.
Et cette mère qui étend son linge, devant cette immense plaine est si paisible.
Le baluchon qu’elle porte n’est pas du linge, non, c’est son bébé.